PROBLÉMATIQUE DE DROGUE EN AFRIQUE (II)

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Dans la suite de notre dossier entrant dans le cadre de la célébration de la journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues, Pamela Ariane AGBOZO, Spécialiste de l’action publique certifiée droits humains dans les politiques de lutte anti drogue pose un diagnostic qui interpelle tous les acteurs mais qui ressort aussi la nécessité d’une approche plus consensuelle…

RBM:  Que diriez-vous si vous devriez faire l’état des lieux de la lutte contre la drogue aujourd’hui en Afrique ?

Selon les récents rapports de l’ONUDC, depuis plusieurs années, les pays d’Afrique sont de plus en plus touchés par le développement de routes de la drogue qui la traversent, notamment avec l’itinéraire de la cocaïne depuis l’Amérique latine et la route dite du Sud, de l’opium afghan en direction de l’Afrique de l’Est.

Pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest, la cocaïne est un sujet de préoccupation majeure. Le transport de cette drogue par voie aérienne est favorisé  par la hausse du trafic aérien entre l’Amérique du Sud et l’Afrique de l’Ouest.  Ce trafic  connait un important développement au vu de l’augmentation de la consommation dans la région.

Pour faire face à cette réalité, depuis 2011, un projet multi-agences (AIRCOP) est  mis en œuvre par  l’ONUDC en partenariat avec INTERPOL et l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD). L’un des objectifs est de déstabiliser les réseaux criminels dans les pays d’origine, de transit et de destination en renforçant les capacités d’interception et de détection des drogues et autres produits illicites. Il a pour principales cibles les aéroports d’Afrique occidentale et centrale, où les premières Cellules aéroportuaires anti-trafic (CAAT) mixtes et pluridisciplinaires (douane, police, gendarmerie et autres services de lutte contre la fraude) ont été créées.

Les saisines de drogues et les arrestations de passeurs sont le fruit des efforts de la lutte anti drogue que mènent les pays en interne mais aussi en coopération à travers le projet AIRCOP.

Dans la région Afrique de l’ouest, 1,9 tonne de cocaïnes ont été saisies dans le cadre du projet AIRCOP. Pratiquement le même volume de méthamphétamine a été saisi dans la région, principalement sur les aéroports de Lagos (Nigeria) et de Cotonou (Bénin). Dans ces mêmes aéroports et celui d’Accra (Ghana) sont réalisées les principales prises d’héroïne et divers opioïdes pharmaceutiques comme le Tramadol de plus en plus consommé, notamment dans le Sahel. On observe également dans le lot des saisines de nombreux précurseurs qui indiquent l’existence en Afrique de laboratoires servant à la fabrication de nouvelles substances psychoactives. 

Pour l’ONUDC, rien qu’en Afrique de l’Ouest, le trafic de drogue provoque sur l’économie une perte annuelle qui s’élève à environ 1,3 milliards de dollars dans les secteurs de la santé, du travail et autres. Au fil du temps, l’Afrique, qui n’était qu’une zone de transit, est devenue un nouveau marché de consommation et de production, développant ses propres organisations criminelles, ses propres routes à travers le monde, ce qui en fait dorénavant un grand acteur du trafic international de drogueP

RBM:  Pensez-vous que le thème de cette année qui établit une corrélation entre santé et justice en matière de drogue est signe de bonne avancée?

Je peux déjà dire que le thème de la célébration de la journée internationale de lutte contre l’abus et le trafic de la drogue de cette année met l’accent sur les deux secteurs qui doivent être au cœur de la lutte anti drogue. En effet les drogues sont des produits dont le trafic et la consommation sont prohibés dans de nombreux pays sous peine de tomber sous le coup de la loi. Mais dans le même temps la consommation des drogues porte en elle-même le poids d’une double sanction, celle de la loi et celle qu’inflige le consommateur à son organisme à travers l’addiction et ce, par manque de prévention.  Comme le souligne le Secrétaire Général des Nations Unions, « la consommation de drogues a de graves conséquences sur la santé et le bien-être des personnes, des familles et des collectivités, ainsi que sur la sécurité et le développement durable des nations ».

Il est dont important que la lutte anti drogue intègre aussi bien l’aspect santé que celle de la justice. En réalité la prise en compte de la consommation et de l’addiction aux drogues comme un problème de santé n’est qu’une autre façon de rendre justice à l’usager de drogues qui dans bien des cas est une victime au regard des nombreuses conséquences de la drogue dans sa vie sociale, professionnelle et  surtout sur le plan sanitaire.

Le thème appelle donc à une approche anti drogue intégrant, la justice, les droits humains et la santé.

RBM:  La lutte contre la drogue en Afrique francophone se limite à la répression, aux peines et tout, pensez vous que c’est la solution? 

La lutte contre la drogue est encore dans le tout répressif parce que le trafic et la consommation sont définis par la loi comme des infractions et par la perception sociale comme des actes de déviance. S’il est vrai que la production et le trafic sont des actes à réprimer afin de décourager toute velléité de s’y adonner à des individus, la consommation en plus d’être un acte répréhensible constitue un problème de santé car l’addiction à la drogue tout comme celle à l’alcool et bien d’autres mérite une thérapie.

En réalité un primo consommateur ou un addict pris sous le coup de la détention et de la consommation de drogue nécessite plus une prise en charge sans stigmatisation ou discrimination qu’une peine répressive. Pour cela, il est important que des services de prévention, de traitement et de réadaptation axés sur la santé et  les droits de la personne humaine soient mis en place.  

RBM: Comment pourra se faire le combat pour plus d’efficacité ?

La lutte efficace contre la drogue sur le continent pour ce qui concerne le trafic et la production appelle au renforcement de la coopération entre les états dans les domaines de l’échange d’informations, de la lutte contre les flux financiers liés au trafic de drogues et de la prévention du détournement des précurseurs utilisés pour fabriquer des drogues. Mais il est également important de préserver la paix dans les états africains  et d’éviter la propagation des réseaux terroristes puisque l’instabilité et les poches de conflits ont favorisé l’essor du trafic de drogues. Selon l’ONUDC,  « il existe un lien de plus en plus clair entre trafic de drogues et groupes terroristes, notamment en ce qui concerne l’utilisation du produit du commerce illicite de drogues pour financer des activités terroristes ».

Pour ce qui est de la consommation, il est important que les États travaillent à réduire la demande auprès des populations à travers des services de prévention  notamment dans le milieu juvénile mais également à travers la prise en charge intégrée des consommateurs par :

  • L’ouverture de lieux  d’écoute et d’accompagnement des consommateurs de drogue
  •  La réduction des risques par l’élaboration d’un dispositif acceptant l’offre de services Réduction des Risques  (pour les maladies comme le VIH, les Hépatites ect)
  •  Des peines alternatives à l’emprisonnement : travaux d’intérêt général, injonction thérapeutique

RBM: Vous avez participé à une formation sur les droits humains et les Politiques de lutte contre la drogue en Afrique francophone…qu’est ce qu’on peut retenir de cette formation?

De cette  formation on peut retenir  quatre points

  • La déconstruction de la perception sociale erronée portée sur  les consommateurs de drogues,
  • la revue  de l’état des politiques de drogues dans bon nombre de pays africains francophones  qui a abouti au constat du tout répressif. Elle a été aussi l’opportunité d’apprécier le bilan mondial de lutte anti drogue basée sur le répressif qui a été un échec au regard des nouveaux moyens qui se mettent en place en terme de production et de trafic mais aussi de la forte demande à travers la consommation ;
  • les droits de la personne humaine qui ne peuvent être déniés à un individu du fait de la consommation de la drogue dans la mesure où cette consommation fait de lui une victime nécessitant une prise en charge sanitaire ;
  • le plaidoyer pour des politiques anti drogue moins répressive et centrée sur la personne humaine.

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6 thoughts on “PROBLÉMATIQUE DE DROGUE EN AFRIQUE (II)

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